Capillaroscopies cliniques et quantitatives périunguéale
Déjà pratiquées par Herman Boerhave au XVIIe siècle, les capillaroscopies ont
été appliquées à la médecine par Davis et Landau et introduites en France par
Merlen.
Le principe en est simple : il s’agit de la visualisation des microvaisseaux
superficiels par microscopie optique in vivo.
Les applications cliniques ont désormais rendu cette technique indispensable à
la pratique de la médecine vasculaire.
Capillaroscopie périunguéale :
A - MATÉRIEL :
La capillaroscopie périunguéale est sans doute la technique d’exploration de la
microcirculation la plus usitée en médecine, du fait de ses applications dans
les acrosyndromes vasculaires et les connectivites.
Il s’agit de la visualisation in vivo des capillaires cutanés superficiels, ceux
du derme papillaire, par microscopie optique.
Les systèmes optiques utilisés sont le plus souvent des biomicroscopes ou des
loupes binoculaires qui possèdent plusieurs particularités :
– l’éclairage est incident (épi-illumination), si possible puissant, car il
conditionne le confort visuel, et en lumière froide pour éviter les artefacts de
vasodilatation ;
– les grandissements utilisés par les auteurs varient de 15 à 100, mais les
éléments d’intérêt diagnostique, notamment l’arrangement du réseau capillaire,
sont plus faciles à analyser à faible grandissement ;
– la profondeur de champ est importante, car elle conditionne la netteté de
l’image des capillaires qui ne sont jamais strictement dans un même plan ;
– une distance frontale (objectif - objet) de plusieurs centimètres permet
d’examiner les sujets peu coopérants ou présentant des rétractions palmaires ;
– la préparation de la peau consiste simplement en l’application d’une goutte
d’huile de microscope à immersion, et parfois en l’abrasion de la couche cornée
par application répétée de ruban adhésif ;
– le recueil de documents est réalisé par l’intermédiaire d’un appareil
photographique ou d’une caméra vidéo attachés à l’une des sorties optiques de
l’appareil.
Les systèmes de vidéomicroscopie de contact, récemment apparus dans l’industrie
pour les processus de contrôle non destructif, constituent une alternative
intéressante aux capillaroscopes classiques et permettent l’examen de tout autre
site des téguments cutanés.
B - MÉTHODE :
Le capillaroscope ne visualise pas la paroi du capillaire, mais les érythrocytes
qui en moulent la lumière.
Ce sont donc seulement les capillaires fonctionnels au moment de l’examen qui
sont visibles. Ils prennent l’aspect de boucles en « épingles à cheveux » plus
ou moins rectilignes, à peu près parallèles entre elles, alignées en plusieurs
rangées et orientées vers l’extrémité du doigt.
La recherche d’anomalies morphologiques doit être réalisée systématiquement sur
l’ensemble des dix doigts :
– les extravasations de globules rouges entraînent des dépôts brunâtres qui
migrent vers le rebord épidermique ; ces microhémorragies témoignent d’une
souffrance capillaire qui peut être liée à une microangiopathie, mais aussi à
des crises vasomotrices intenses ou des traumatismes ;
– la présence de tortuosités ou de ramifications peu nombreuses n’a pas de
signification pathologique précise, alors que l’existence de nombreuses boucles
richement ramifiées (feuilles de fougères, buissons) est évocatrice de
connectivite ou de vascularite ;
– la présence de capillaires géants (plus de 5 fois le calibre normal) va de
pair avec une diminution hétérogène de la densité capillaire et une
désorganisation de l’arrangement des boucles dans la sclérodermie systémique et
les connectivites apparentées.
C - RÉSULTATS :
Ce dernier aspect, qui forme un paysage capillaroscopique très caractéristique,
est en fait le seul dont la présence ou l’absence revêt une signification
clinique utilisable sur le plan décisionnel.
Il est en effet tout à fait spécifique des connectivites, évoquant surtout la
sclérodermie systémique et les connectivites frustes du type CREST ne validant
pas encore les critères de l’ARA (American Rhumastism Association) pour la
sclérodermie systémique.
Il est également extrêmement sensible et précoce, fournissant actuellement le
meilleur élément du dépistage des phénomènes de Raynaud à risque de
connectivite.
Ces éléments justifient la réalisation d’une capillaroscopie périunguéale chez
tout sujet présentant un phénomène de Raynaud.
Par ailleurs, parmi les sclérodermies avérées, l’existence d’une raréfaction
capillaire intense et d’une désorganisation importante contrastant avec une
relative discrétion des aspects dilatés est typique des formes sévères,
évolutives de la maladie, et contribue à l’établissement du pronostic.
Enfin, il reste qu’une capillaroscopie normale permet d’éliminer une
sclérodermie systémique, mais pas les autres connectivites éventuellement
pourvoyeuses de phénomènes de Raynaud (lupus systémique, syndrome de Sjögren).
Autres capillaroscopies :
La conjonctive bulbaire est le site le plus ancien d’observation de la
microcirculation chez l’homme.
L’excellente transparence du milieu conjonctival et l’arrière-plan que constitue
l’écran blanc de la sclérotique offrent un contraste idéal pour la visualisation
des contours vasculaires.
L’examen est facile à réaliser avec une lampe à fente ou un biomicroscope
grossissant environ 30 fois, et laissant une distance frontale suffisante de 2 à
3 cm.
Il permet d’observer les réseaux à larges mailles des artérioles et des veinules
qui leur sont parallèles, mais qui apparaissent plus sinueuses, plus sombres et
de diamètre plus important.
Les capillaires conjonctivaux sont plus fins que dans la zone périunguéale, et
surtout analysables près du limbe cornéen.
Du fait de nombreux artefacts liés aux traumatismes chimiques et lumineux, les
anomalies morphologiques des microvaisseaux conjonctivaux, tortuosités ou
microanévrismes, n’apportent pas d’information suffisante pour être
décisionnelles en clinique.
L’angioscopie conjonctivale est cependant un site privilégié pour les études
physiopathologiques portant sur le retentissement microvasculaire du diabète, de
l’hypertension artérielle ou l’analyse de l’agrégation érythrocytaire in vivo.
Au fond d’oeil, l’examen des vaisseaux rétiniens reste l’examen le plus
populaire en médecine, pour l’appréciation de l’état des microvaisseaux.
Cela tient à son accessibilité, un peu moins facile que pour la conjonctive, et
à sa situation mieux protégée des artefacts susceptibles de perturber les
microcirculations superficielles.
Mais la principale raison en est la noblesse du tissu rétinien irrigué ; c’est
ainsi que les anomalies dépistées ont ici une valeur propre préthérapeutique
locale (traitement au laser des rétinopathies proliférantes), ce qui n’existe
pas avec les autres capillaroscopies.
Les signes du retentissement de l’hypertension artérielle sont bien codifiés,
mais tardifs.
Il en est de même dans la maladie diabétique où l’angiographie fluorescéinique
est beaucoup plus sensible.
La capillaroscopie peut être également réalisée au niveau de la langue, de la
gencive ou de la lèvre inférieure, mais l’examen de ces différents sites n’a pas
d’application pratique clinique.
Au niveau des téguments cutanés des membres inférieurs, les anomalies notées
dans les insuffisances artérielle et veineuse décompensées sont importantes et
leur quantification, possible depuis peu, pourrait avoir des débouchés cliniques
intéressants, notamment pronostiques.
Capillaroscopies quantitatives : Sous l’angle de la recherche
clinique, les visualisations directes que sont les capillaroscopies ont, sur les
techniques indirectes (laserdoppler, PO2 transcutanée), le grand avantage de
limiter les difficultés d’interprétation si fréquentes dans le domaine complexe
de la microcirculation.
Certaines techniques lourdes de capillaroscopie ont permis, depuis une dizaine
d’années, une approche quantitative de l’hémodynamique capillaire.
– La mesure de la pression capillaire après canulation par micropipette est très
délicate, mais a permis à Tooke de montrer les variations physiologiques
considérables de ce paramètre en fonction de la position et de l’état vasomoteur
du sujet.
– La mesure de la vitesse globulaire intracapillaire a d’abord été réalisée en
comparant le mouvement des globules rouges, observé par vidéomicroscopie, à
celui d’un objet virtuel à vitesse réglable (flying spot). Elle est actuellement
réalisée par étude de corrélation croisée du signal vidéodensitométrique sur
deux fenêtres positionnées sur le trajet du même capillaire (système numérisé
Capiflowt), ou même par couplage d’un capillaroscope et d’un laserdoppler
focalisé (Cam 1t).
Ces techniques ont permis à Fagrell d’étudier le retentissement de la vasomotion
et les différents facteurs de l’hyperhémie réactionnelle postischémique au
niveau même du capillaire.
– L’évaluation du transport transcapillaire du fluorescéinate de sodium injecté
en bolus intraveineux est rendu possible par la vidéodensitométrie de
fluorescence.
Cette technique a notamment permis à Bollinger d’objectiver la précocité des
anomalies de la perméabilité capillaire dans la maladie diabétique.
– Les techniques d’analyse d’images permettent également la réalisation de
morphométries automatisées, qui constituent en fait un prolongement des
capillaroscopies d’utilisation courante.
Elles permettent de quantifier les microangiopathies, pour leur surveillance, ou
la mise en évidence de seuils diagnostiques lorsque les anomalies sont
essentiellement quantitatives.
C’est en particulier le cas de la capillaroscopie du cou de pied chez
l’insuffisant veineux chronique et de celle de l’avant-pied dans l’artériopathie
décompensée : la taille des capillaires augmente de manière hétérogène et
s’accompagne d’une raréfaction capillaire elle aussi hétérogène, notamment dans
l’insuffisance veineuse.
L’échantillonnage statistique de paramètres de taille et de densité capillaires,
sur de larges populations de capillaires, caractérise assez précisément le
retentissement microcirculatoire de ces macroangiopathies pour prédire leur
stade clinique.
Ces techniques sont encore en phase de développement, et les premiers résultats
encourageants demandent encore confirmation.
Conclusion :
Si la capillaroscopie périunguéale fait désormais partie des explorations
vasculaires de routine, les autres explorations restent encore du domaine de la
recherche clinique.
Toutefois, les progrès importants des techniques de vidéomicroscopie et de
l’analyse d’images numériques devraient rapidement entraîner un élargissement
des applications des techniques de capillaroscopie en médecine vasculaire.